Le réchauffement des océans et les chalutiers chinois menacent la pêche côtière en Afrique de l’Ouest (rapport)


L’augmentation de la température des océans provoque une réduction de la concentration en oxygène et de la disponibilité de nourriture pour la faune marine. Ces modifications physico-chimiques entraînent d'importants déplacements géographiques des populations de petits poissons pélagiques, dont les stocks diminuent déjà sous l’effet de la surpêche.
Le réchauffement des océans et la pêche illicite pratiquée essentiellement par de gros chalutiers chinois menacent les moyens de subsistance et l’avenir des communautés de pêcheurs côtiers en Afrique de l’Ouest, selon un rapport publié le 1er mai 2025 par le Salata Institute for Climate and Sustainability, un centre de recherche rattaché à l’Université Harvard (Etats-Unis)
Intitulé « Fishers on the Gulf of Guinea : Climate, and the income diversification imperative », le rapport indique que les pêcheurs côtiers du golfe de Guinée subissent déjà des pressions économiques dues à la baisse significative de leurs principales prises de petits poissons pélagiques.
Les prises totales de ces poissons qui constituent une source importante de nourriture et d’emploi pour des millions de personnes dans la région ont diminué de 59 % au Ghana entre 1993 et 2019, et de près de 40 % en Côte d'Ivoire entre 2003 et 2020. Ces baisses, qui s’accentuent depuis les années 1990, sont en partie le résultat du réchauffement des océans induit par le changement climatique. Les océans absorbent environ 90 % de la chaleur générée par la hausse des émissions des gaz à effet de serre, ce qui provoque une réduction de la concentration en oxygène et de la disponibilité de nourriture pour les poissons.
En Afrique de l'Ouest, le réchauffement des températures de surface de la mer a entraîné d'importants déplacements des populations de petits poissons pélagiques. Le long de la côte atlantique de l'Afrique de l'Ouest, l'aire de répartition de Sardinella aurita, une espèce cible favorite des pêcheurs côtiers, s'est déplacée depuis 1995 à un rythme moyen de 181 kilomètres (km) par décennie. Des distances de migration avoisinant les 200 km par décennie ont été observées pour trois autres espèces de petits poissons pélagiques.
Des interdictions de pêche saisonnières aux résultats très mitigés
Le mouvement de migration de ce type de poissons devrait s’intensifier à l’avenir. Dans le cadre du scénario le plus sévère de concentration de gaz à effet de serre (GES), l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) prévoit que les températures de surface de la mer dans le golfe de Guinée pourraient augmenter de 3 degrés Celsius entre 2010 et 2099. Même dans le cas d'une trajectoire moins sévère en matière de concentration de GES, l'augmentation pourrait atteindre 1,6 degré Celsius entre 2010 et 2099.
La pêche illégale est un autre facteur qui contribue à la crise. Souvent détenus par des entreprises chinoises, de gros chalutiers violent les zones d'exclusion réservées aux pêcheurs locaux pour pratiquer le chalutage par le fond, une forme extrêmement destructrice de pêche qui rafle tout sur son passage. Pékin ne revendique officiellement qu’une flotte de pêche en haute mer de 2600 navires, mais des études menées par des ONG avancent le chiffre de près de 17 000 gros bateaux de pêche chinois qui sillonnent les océans et les mers à travers le monde.

Dans le même temps, les flottes de pêche artisanale traditionnelle ont augmenté en taille et en capacité, contribuant ainsi à la surpêche.
Compte tenu de la certitude que le réchauffement des océans se poursuivra dans les décennies à venir, il est fort probable que le déclin des captures de poissons continuera, même si la pêche illicite peut être contrôlée d'une manière ou d'une autre.
Le rapport souligne d’autre part que les interdictions de pêche saisonnières de courte durée (saisons fermées), imposées par les gouvernements au Ghana et en Côte d’Ivoire aux chalutiers industriels et aux pirogues traditionnelles depuis 2016, n'ont pas réussi à inverser le déclin des petits poissons pélagiques et à réduire la baisse des prises réalisées par les pêcheurs côtiers. 
Diversifier les revenus des pêcheurs via la formation professionnelle
Des enquêtes menées sur le terrain en juillet 2023 par une équipe de chercheurs de l'Université Harvard et des Universités partenaires locales au Ghana (101 répondants), en Côte d'Ivoire (158 répondants) et au Nigeria (74 répondants) ont révélé que 90 % des membres des communautés de pêcheurs côtiers au Ghana, 85 % en Côte d'Ivoire et 66 % au Nigeria pensent que leurs enfants ne pourront pas compter sur la pêche, ni sur la transformation et la commercialisation du poisson à l'avenir. Interrogées sur les alternatives en matière d'emploi, les personnes sondées dans les trois pays ont identifié le « travail qualifié » dans des secteurs autres que la pêche comme l'option la plus prometteuse.

Des migrations de main-d'œuvre hors de la pêche vers des métiers alternatifs tels que la menuiserie et la confection sont déjà en cours. Des enquêtes réalisées par l'Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) au Ghana ont fait ressortir que 73 % des pêcheurs côtiers déclarent que certains membres de leurs communautés gagnent déjà un revenu grâce à un emploi non lié à la pêche.
Des efforts sont en cours pour rendre ce type de travail plus accessible. Dans le cadre d'un partenariat entre le gouvernement et l'USAID, le programme ghanéen de relance de la pêche Ghana Fisheries Recovery Activity (GFRA) a dispensé une formation professionnelle à de jeunes bénévoles issus des communautés des pêcheurs locaux, âgés de 15 à 35 ans. 5 250 jeunes hommes et femmes issus de familles de pêcheurs ont été formés dans le cadre de ce programme jusqu'en février 2025 pour travailler dans les domaines de la boulangerie et de la cuisine, de la menuiserie, de la cosmétologie, du carrelage et de la maçonnerie.
Le rapport recommande dans ce cadre aux pays d’Afrique de l’Ouest dont les communautés de pêcheurs côtiers sont soumises au stress climatique d’améliorer la gestion de la pêche à court terme, mais de poursuivre des stratégies vigoureuses de diversification des revenus basées sur la formation professionnelle à plus long terme. Il note cependant que le principal défi pour l’intensification des programmes de formation professionnelle sera le financement public pour couvrir un coût estimé à 400 dollars par stagiaire, étant donné que les budgets des Etats sont limités. D’où la nécessité de mobiliser des fonds auprès de partenaires internationaux et d’optimiser l’utilisation des ressources internes existantes.

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